Quand on s’expatrie, en couple ou avec des enfants, on emmène avec soi sa culture, ses coutumes et sa langue.
Très vite, cette dernière prend une place centrale dans la vie d’expatriés. Elle est l’objet d’interrogations et d’angoisses. Certains couples mixtes ont peur de la perdre. D’autres ne savent pas comment appréhender la langue du pays d’accueil.
La nouvelle langue peut être perçue comme un obstacle insurmontable, voire rejetée. Je vous parle en connaissance de cause. J’ai passé deux bons mois à me dire, plus ou moins consciemment, que je ne voulais pas apprendre l’italien. Peut-être à cause de tous mes moments de solitude ! Mais surtout parce que je ne me faisais pas à l’idée que nous avions quitté la France.
Les mois passants, je réalise que je développe un rapport très nouveau au français. Par étapes, il prend une place particulière dans ma vie. J’essaye donc d’analyser avec vous cette évolution sur moi-même ainsi que sur notre famille.
Expatriation et langage
Langue et expatriation : l’arrachement
Quand on vient de s’expatrier, on subit comme un arrachement. Plus de racines, plus de repères. Si l’on ne parle pas la langue de son pays d’accueil, on se retrouve très vite, très limité.
Il y a pratiquement un deuil à faire de son pays et de sa langue. Ça ne veut pas dire qu’on ne la pratique plus, ni qu’on tourne le dos à sa culture. Cela veut simplement dire qu’il faut accepter l’idée que dans notre nouveau lieu de vie, ce n’est pas la norme. On le sait rationnellement bien sûr. Mais psychologiquement, c’est une autre histoire.
La langue maternelle devient donc le cocon dans lequel on se réfugie quand on est chez soi. C’est la langue du repos. La langue de la facilité. La langue où l’on est finalement nous et dans laquelle on peut exprimer toutes les facettes de notre personnalité.
Langue et expatriation : le besoin de rester ancré
Pour ma part, j’ai vraiment eu une période où je devais entendre du français dans la journée. J’en avais besoin. J’écoutais la radio par internet (ce que je fais toujours). J’ai aussi tanné Nico pendant des semaines pour que l’on prenne un VPN afin d’accéder à la télé française. Ce n’est pas que je la regarde si souvent en réalité, mais c’était rassurant de savoir qu’elle était là.
Un VPN est un système inter-réseau qui permet de relier deux réseaux locaux entre eux. Quand vous êtes à l’étranger, toutes les applications type Molotov, My Tf1, 6Play etc. connaissent votre position géographique et vous refusent l’accès. Ils ne sont accessibles que depuis la France. Le VPN permet de contourner cette géolocalisation, vous permettant ainsi de bénéficier de ces services, depuis l’étranger.
Mon rituel le plus important pendant quelques semaines, c’était de regarder « On n’est pas couchés » le samedi soir.
Quand j’écoutais les analyses des uns et des autres, je ressentais une vraie vague de bonheur. Comprendre toutes les subtilités de la pensée. Commenter et exprimer soi-même toute une palette d’émotions et de réflexions. Alors qu’à l’inverse je ne pouvais dire que bonjour/au revoir/merci dans ma nouvelle langue. C’était extrêmement sérénisant. Je n’ai jamais éprouvé ce sentiment pour ma langue avant ça.
Langue et expatriation : l’ouverture
Et puis, progressivement une bascule s’opère. À mesure que l’on s’installe dans le pays d’accueil, y compris (et surtout !) socialement, les choses évoluent.
Les conversations s’enchaînent et deviennent un peu plus longues. On découvre chaque jour de nouveaux mots, de nouvelles phrases. Et on peut les répéter. Le mimétisme se met en place et progressivement, un apprentissage se fait. Mieux, une certaine attraction s’opère pour la nouvelle langue. C’est celle du challenge, celle qui titille.
Le français devient alors moins vital. Il reste le refuge, le port. Mais on ne le pleure plus comme au départ.
Et puis arrive le jour où on prononce une phrase qui n’est pas française ! Où l’on remplace une expression par une autre. Où l’on « francise » l’italien.
Et puis celui où l’on commence à mélanger les mots dans une conversation à la maison. Nous en sommes là en ce moment. Nico qui lui, travaille toute la journée en italien, a parfois même des trous de mémoire sur certains mots français. Ils ne lui viennent qu’en italien.
Pour ma part, je me mets à avoir des réflexions en italien. Et il me faut des fois un moment pour réaliser que je ne pensais pas en français. Je débute un mail en italien, avant de réaliser que j’écris à un français. Il m’arrive de parler en italien aux enfants. Des phrases courtes évidemment, mais spontanées.
Expatriation, enfants et langage
Langue et expatriation : quel impact sur les enfants ?
Nos enfants étant jeunes, Chiara (10 mois) n’est pour le moment pas vraiment concernée. Ce sera intéressant de voir ce qui se passe quand elle rentrera à la crèche.
Elliot (3 ans) à quant à lui, je pense, suivi à peu près les même étapes que nous. L’arrivée lui a fait très bizarre. Il riait quand on imitait les italiens à la maison mais il a beaucoup moins rigolé en arrivant à l’école. Il était complètement perdu. La maîtresse connaissait quelques mots de français qu’elle lui disait pour le rassurer. C’était l’unique moyen pour qu’il arrête de pleurer.
Le pédiatre m’avait prévenu qu’Elliot pourrait développer un retard de langage vis à vis du français, en s’expatriant. C’est normal.En réalité, l’inverse s’est produit. Après la première semaine de classe, je ne l’avais jamais entendu parler français aussi bien !
Ma théorie c’est qu’il a réalisé que personne ne le comprenait à l’école. Que lui-même ne comprenait pas bien non plus. Par conséquence, il avait intérêt à parler français. Pour sa survie presque !
À présent, il comprend bien l’italien. On ne l’entend pas beaucoup le parler mais à priori il s’exprime un peu à l’école. Après c’est aussi propre à Elliot, qui a d’autres soucis liés au langage de part sa prématurité.
Nous avons des copains expatriés ici. Ils sont arrivés en même temps que nous. Leur fille âgée d’un an de plus qu’Elliot s’est pliée à la nouvelle langue en deux temps trois mouvements. De toute manière, ils sont bien plus rapides que nous, qu’on se le dise.
Cela étant, quand la maîtresse d’Elliot lui glisse un mot en français, pour dire au revoir par exemple, il sourit toujours. L’autre jour elle me disait : « ça doit sonner comme la maison pour lui ». Et je le crois.
Langue et expatriation : une place pour chaque langue
Évidemment, chaque cas est différent. Nous ne sommes pas un couple mixte, il n’y a donc pas de question à se poser quand nous sommes à la maison. Le français est notre langue. Mais progressivement, il reste de plus en plus dans la sphère familiale.
Exemple : quand je vais chercher Elliot à l’école. Il doit mettre son manteau etc. Pendant des semaines je lui parlais en français, en retraduisant par exemple ce que disait la maîtresse. Et aussi tout simplement parce que c’est ma langue maternelle et qu’elle me vient spontanément. Mais à présent, je lui dis souvent les choses en italien. Puis nous partons, nous nous retrouvons ensemble et nous re-basculons sur le français.
Je n’ai pas de sentiment plus familier que quand je prends le tunnel du Fréjus et que j’arrive en France. Les panneaux écrits dans notre langue. Rentrer dans un commerce et pouvoir s’exprimer. Ça fait du bien. Mais le décalage n’est plus aussi fort qu’au départ.
D’ailleurs, je ne regarde même plus « On n’est pas couchés » tous les samedis ! 🙂
Mais j’aime garder un oeil sur le pays. La radio est très présente bien sûr et de temps en temps la télé. Ça me laisse à la page. Je ne parle pas là de la politique. Pour cette dernière je me maintiens informée quasi quotidiennement. J’évoque ici le reste. Les petites choses qui font la vie d’un pays.
J’ai ainsi découvert que Stannah avait fait une nouvelle pub (et il ne fallait pas, vraiment !) et qu’on avait ressorti le spot hyper anxiogène de la grippe. Le même qui a duré des mois l’année dernière… « La grippe est là ». Oui mais on est en juin maintenant… « La grippe des foins. ». Bref.
Expatriation, langage et compétences
Langue et expatriation : la stimulation
Je pense cependant que l’exercice d’apprentissage est extrêmement bénéfique. La stimulation opérée par ce chambardement. Cette nécessité quasi vitale d’apprendre, pour pouvoir s’exprimer, est très intéressante. Le cerveau est en alerte. Il carbure. Et ça impacte le reste de la vie familiale. J’en suis intimement convaincue. Je n’avais plus été aussi prolifique depuis mon adolescence. Comme si mon cerveau avait rajeuni de 15 ans ! Nous sommes plus enclins à faire les choses, même après les nuits courtes ! 🙂 Et je suis certaine que la nouvelle langue et son apprentissage y sont pour beaucoup !
Voilà donc un petit tour d’horizon de la façon dont nous avons été touchés par l’expatriation. Comme souvent, il faut se laisser le temps. Nous serions partis dans un pays anglophone, les choses auraient été bien différentes car nous parlons tous deux très bien anglais. Pour Elliot cependant ça n’aurait rien changé.
Mais partir dans un pays dont nous ne parlions pas la langue est aussi une chance énorme. Il n’est pas si fréquent dans la vie de pouvoir se challenger encore quand on a notre travail, nos enfants, notre maison etc. Grand chambardement, grandes satisfactions. Cela n’enlève en rien sa place au français. Toujours au coeur de nos conversation. Ancré dans nos têtes quoi qu’il arrive.
Et vous, comment vivez-vous le jonglage entre plusieurs langues ? Si vous vous expatriez prochainement, appréhendez-vous ce changement ?