Hier nous découvrions le témoignage de Nadège qui avait mal vécu son expatriation à Jakarta. Aujourd’hui voici l’histoire de Christine qui, après une première expérience réussie au Brésil, a vécu une seconde expatriation beaucoup plus compliquée.
Christine, médecin, 2 enfants, 67 ans
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Christine, je suis médecin, spécialisée en pédiatrie sociale, j’ai travaillé dans le domaine pédiatrique en France et au Brésil. Je suis actuellement à la retraite mais garde une activité à temps partiel.
Mariée depuis 36 ans à un brésilien originaire du Nord Est du Brésil, je vis en France, mon mari au Brésil. Nous nous retrouvons périodiquement au Brésil ou en France.
Nous avons 2 fils de 26 et 29 ans : l’un vit en France, l’autre vit actuellement à l’étranger et a eu de nombreuses expériences d’expatriation au cours de ses études !
Combien d’expats as-tu à ton actif ?
J’ai vécu deux épisodes d’expatriation dans le même pays (Brésil) à dix ans d’intervalle :
Le premier dans les années 80 :
À 29 ans je suis partie seule, à la fin de mes études de médecine, pour voyager et connaitre ce pays qui m’attirait par sa musique, sa gaieté, son soleil ! Durant ce voyage j’ai connu mon mari, dans sa région natale, le sertao ; ensemble nous avons voyagé puis vécu à Rio de Janeiro pendant 1 an environ avant de partir nous installer en France. Grâce à une amie brésilienne j’ai eu l’opportunité d’effectuer un stage d’une année à l’hôpital universitaire de Rio. Mon mari avait des activités artistiques.
Le deuxième dans les années 90:
À 41 ans je suis repartie au Brésil avec mon mari et nos 2 enfants qui avaient à l’époque 1an et 3 ans ½, après 10 ans passés en France dans ma région natale, en Savoie. Au total j’ai passé environ 5 ans au Brésil (hors séjours de vacances) mais l’impression d’en avoir passé beaucoup plus tant les émotions ont été intenses !
À quel moment as-tu eu des difficultés avec ton expatriation ?
J’ai eu beaucoup de difficultés d’adaptation lors de mon deuxième séjour au Brésil qui s’est assez « mal » terminé puisque je suis rentrée seule en France au bout de 2 ans 1/2, mais avec les enfants heureusement !
Dans que contexte es-tu partie ?
Nous sommes partis, en famille, dans la région de mon mari, au Nord Est du Brésil.
Celui-ci avait l’opportunité de créer avec ses 3 frères une entreprise agroalimentaire (sa région était alors en plein développement grâce à l’irrigation).
J’avais envie de repartir, de prendre le temps de m’occuper de mes enfants, et cette région m’attirait – je ne sais trop pourquoi ! il me semblait que nous y serions plus tranquilles et que nos enfants seraient entourés d’une tribu familiale d’oncles, tantes, cousins /cousines (ce qui n’était pas le cas en France !)
Par ailleurs il me semblait important que mon mari retrouve son pays et sa famille après ces 10 années en France : j’avais l’impression qu’au fil du temps il vivait de plus en plus mal les longs hivers français, que sa famille et ses amis lui manquaient…
De plus son évolution artistique le poussait vers des réalisations monumentales (sculptures) qu’il serait plus facile de mener à bien au Brésil qu’en France, en parallèle de son activité dans le projet d’entreprise familial.
Pour réaliser ce projet J’ai pris un congé parental suivi d’une disponibilité, après plusieurs années de travail salarié en PMI (protection maternelle et infantile).
Je pensais pouvoir retrouver du travail au Brésil, d’autant que j’avais fait un stage à Rio et parlais portugais.
Nous avons choisi de nous installer dans la ville natale de mon mari, où réside une partie de sa famille (parents, frères et sœurs) et où nous avions fait plusieurs séjours (en vacances.).
Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour toi ?
J’étais habituée depuis toujours à être indépendante et autonome. Le fait de me retrouver d’un coup, si loin de mon environnement habituel, sans activité professionnelle, sans voiture, sans revenu personnel (mis à part nos quelques économies), et devant m’occuper de mes deux enfants en bas âge, a été très difficile, surtout au début. Mon mari était très occupé par ses affaires, et emporté dans un tourbillon qu’il ne maitrisait guère. De plus il récupérait le temps perdu et passait beaucoup de temps avec ses frères et amis.
Habituée à une vie sociale et amicale bien remplie, je me sentais souvent seule et « prise au piège », ne pouvant bénéficier de l’autonomie et de la liberté que j’avais lors de mon premier séjour.
Par ailleurs je me faisais mal à mon nouvel environnement : rythme de vie beaucoup plus lent que celui auquel j’étais habituée en France ; peu ou pas d’infrastructure de type piscine, cinéma, salles de spectacle ; insécurité latente, génératrice de beaucoup de stress (nécessité la nuit de verrouiller toutes les issues, de payer des gardes pour sécuriser la rue, de circuler avec une certaine prudence) ; gestion de l’intimité familiale très différente : il est pratiquement inconcevable de ne pas avoir de personnel à la maison, « difficulté » que je n’avais pas vraiment anticipée et qui ne m’était pas familière… nécessitant un certain sens du management… Je devais faire très attention aux dépenses (et limiter au maximum les petits plaisirs, sorties, etc…)
Il faut ajouter la chaleur, souvent insupportable au moment de l’été, les moustiques qui attaquent dès le coucher de soleil, l’alimentation, moins variée…
Que ressentais-tu ?
J’ai durement ressenti le fait de repartir à zéro dans un environnement que je ne maitrisais pas aussi bien que j’avais pu l’imaginer… dans cette région aride il faut être attentif à économiser l’eau et savoir apprivoiser la chaleur…
Logée au début chez mes beaux-parents, pourtant très gentils et tolérants, je me suis sentie culpabilisée d’être un poids supplémentaire du fait de mon manque d’autonomie ; mes belles sœurs m’ont souvent fait remarquer que je venais du « premier monde » …un monde où tout était censé être plus facile !
Qu’étais-je venue faire dans cette galère ?
Les moyens de communication étant à l’époque bien moins rapides et efficaces qu’à ce jour, je ne pouvais guère partager avec mes amis ou ma famille les moments de doute et de déprime…renforçant mon impression d’être une « étrangère », et de ne pas être à « ma place ».
Il faut préciser qu’à l’époque, nous n’avions ni téléphone portable, ni ordinateur, ni internet…. Seulement le téléphone fixe, très cher pour les liaisons internationales, et le bon vieux courrier…
Par ailleurs les relations avec mon mari se dégradaient : il me semblait différent de celui que je connaissais auparavant, peu aidant.
Je passais par des hauts et des bas, entre la sensation exaltante de vivre une aventure hors du commun et des moments de grande déprime (notamment quand j’ai appris que ma mère avait une maladie grave).
Selon toi, le problème venait-il de toi ou du pays ?
Je crois que le problème venait à la fois de moi et de cette région (plus que du pays) : j’ai éprouvé assez vite une sensation persistante d’isolement et d’étrangeté, non compensée par les nouvelles rencontres ou amitiés, ni par la cohésion de notre couple … nous avions réussi à surmonter nos différences culturelles lors de nos deux premières installations, à Rio puis en France, mais dans cet environnement particulier ça n’a pas fonctionné !
J’ai sans doute minimisé les difficultés de cette expatriation pour ma vie professionnelle et sociale, et surestimé ma capacité à m’adapter à de nouvelles conditions de vie, plus précaires, qui me rendaient dépendante de ma belle-famille et de mon mari et me laissaient peu de possibilités d’échange et de communication avec l’extérieur …
As-tu songé à rentrer en France ?
Oui, souvent …c’est d’ailleurs ce que j’ai fait au bout de 2 ans et demi.
Quelles solutions as-tu mis en place pour avancer et améliorer la situation ?
J’ai fait beaucoup d’efforts pour m’intégrer ainsi que les enfants, en essayant d’adopter un mode de vie proche de celui des habitants de la région.
Nous avons loué une maison, inscrit l’ainé de nos enfants à l’école la plus proche – bien nommée école « Passo a passo » (Pas à pas) – où nous avons eu la chance de trouver des « Tias » (« tias = tantes » c’est ainsi que l’on appelle les maitresses d’école !) très compréhensives et très proches des enfants (à la brésilienne !).
J’ai noué des liens avec les voisines (le soir on sort les chaises sur le trottoir pour faire un brin de causette quand la fraicheur arrive !), donné des cours de français dans une école de langues et participé autant que faire se peut au développement de la nouvelle entreprise familiale.
Je faisais mes courses comme les voisines dans les boutiques locales, et organisais de grandes fêtes pour les anniversaires des enfants. Peu à peu j’ai pris de l’assurance et de l’autonomie, et fait connaissance avec une ou deux familles d’expatriés français dont j’ai appris l’existence.
Au bout d’un an environ j’ai pu accéder à un poste de médecin dans la ville voisine : j’exerçais en dispensaire dans les faubourgs périphériques et dans les villages environnants, où nous nous rendions – avec une équipe mobile composée d’une infirmière, du médecin et du dentiste – effectuant de longs parcours dans la campagne aride, dans des conditions parfois hostiles dues à l’insécurité.
Cette nouvelle expérience professionnelle était intense mais déstabilisante compte tenu de la carence de moyens et de la pauvreté extrême des populations que je côtoyais.
Nos enfants se sont plutôt bien acclimatés au climat et à l’environnement, et se sont fait des amis dans le voisinage.
J’ai pu acheter une voiture, ce qui m’a permis d’être plus autonome.
Par ailleurs j’ai eu la possibilité de rentrer 2 ou 3 fois en France avec mes enfants, avec l’aide de ma famille (mais sans mon mari qui lui restait au Brésil).
Ma mère est venue nous voir 2 fois mais je dois dire que son regard critique sur nos conditions de vie m’a beaucoup perturbée.
Au final, es-tu parvenue à apprécier ton expatriation dans ce pays ?
Tout ce que j’ai vécu au cours de mes voyages au Brésil a contribué à faire de moi la femme que je suis, ouverte aux autres et à leur culture…
Ces 2 expatriations m’ont aussi beaucoup appris sur moi, et la deuxième plus particulièrement sur mes limites !!!
Ces petits mots qu’on dit tout bas…
Lors de cette deuxième expatriation, une distance s’est vraiment creusée entre mon mari et moi, faite de ressentiments réciproques, d’incompréhension, de reproches touchant à nos cultures respectives, à nos façons de voir la vie …
Quand j’ai finalement réussi à devenir plus autonome je n’avais plus qu’une idée c’était partir…
C’est ainsi que je suis rentrée en France, accompagnée de mes enfants, après quelques mois d’hésitations et de tergiversations, et au prix d’une grande douleur morale qu’il m’a fallu plusieurs mois pour dépasser.
J’ai vécu ce départ comme un déchirement même si je crois qu’à terme il a finalement été bénéfique. Je me suis rendue compte à quel point mon pays, sa culture et ses valeurs avaient de l’importance pour moi…et je suis heureuse de vivre en France aujourd’hui.
J’ai tout fait pour conserver des liens avec mon mari et lui aussi… ce qui fait que nous ne nous sommes pas réellement séparés même si objectivement nous passons peu de temps ensemble. Chacun de nous a finalement apprécié de mieux connaitre le pays de l’autre !
Que dire des conséquences de tout cela sur nos enfants. Il y en a de bonnes et de moins bonnes. Cela n’a pas été très facile pour eux de se définir entre 2 pays et 2 cultures !
J’avoue qu’en partant au Brésil nous n’avions pas pour objectif de favoriser leurs apprentissages ou qu’ils soient bilingues : Ils se sont adaptés à l’école brésilienne puis à l’école française, délaissant chaque fois la langue qu’ils n’utilisaient plus. Tous les deux ont souhaité passer une année au Brésil (dans le Nord Est) à leur majorité puis sont revenus en France. Ils ont pareillement ressenti un choc culturel important et déstabilisant…
L’ainé est trilingue et aime voyager… il semble parti pour exercer une activité de type internationale… le deuxième a une activité artistique et n’est pas spécialement attiré par les voyages. Je crois qu’ils ne regrettent pas d’avoir vécu et effectué leur scolarité en France. Quant à moi je reste très marquée par mes deux expériences d’expatriation et je continue à percevoir le Brésil comme mon deuxième pays !